Droit patrimonial des couples
Rencontre avec Yves-Henri Leleu
Le droit patrimonial des couples regroupe les régimes matrimoniaux, la cohabitation légale et le statut des couples non mariés. Il a été profondément remanié par la loi du 22 juillet 2018, après la réforme des successions. La jurisprudence est très abondante, surtout en séparation de biens et pour les couples non mariés, ainsi que pour les comptes de récompense et les qualifications des biens professionnels.
Tout ceci a justifié une importante mise à jour d’un ouvrage qui a connu le succès dès sa parution en 2015. Explications avec Yves-Henri Leleu, professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, avocat au barreau de Liège.
Qu’est-ce qui a changé dans la loi depuis la première édition ? On entend que la réforme de 2018 n’aurait pas eu une grande ampleur ?
La réforme de 2018 est tout à fait fondamentale pour le régime de communauté. C’est une réforme complète, dans le sens où elle résout par la loi toutes les controverses techniques, et elle intègre la plupart des propositions de la doctrine en régime de communauté. Par exemple, elle résout les problèmes de qualification et d’évaluation des biens professionnels, des clientèles ou encore des assurances-vie. Elle introduit aussi dans la loi un nouveau régime de participation aux acquêts. Par contre, rien n’a été fait pour la cohabitation légale, ni pour l’union libre, en raison de divergences politiques, alors qu’ils ont plus de succès chez les jeunes couples que le mariage.
Vous affirmez plus fort encore que dans la première édition que la séparation de biens pure et simple est injuste, et que les notaires doivent la déconseiller dans quasi tous les cas ?
Oui. Les couples séparés de biens renoncent à la protection du régime légal sans mesurer toujours les conséquences. Cette protection, c’est le partage des revenus et des économies. Les futurs mariés en séparation de biens ne savent pas toujours comment le couple évoluera sur le plan des carrières ou du partage des tâches. Or, dans ce régime le conjoint économiquement plus fort peut abuser de sa position, par exemple, investir tout à son nom. Les juges réagissent mieux qu’auparavant et interviennent dans les situations les plus injustes. Mais il faut faire des procédures, cela coûte très cher. A nouveau le conjoint économiquement plus faible risque d’en faire les frais.
Pour vous, la jurisprudence doit prendre plus de place. Vous l’affirmiez déjà en droit de la filiation. Vous insistez maintenant sur ce point en droit des régimes matrimoniaux ?
Je pense que l’avenir du droit des familles est à plus de décision pour le juge, comme dans les pays anglo-américains. La loi ne peut plus envisager tous les cas par voie générale car la pluralité des choix de vie doit être respectée et parce que les citoyens revendiquent du « sur mesure ». Il faut donc que le juge résolve les problèmes que le législateur ne réglemente pas. Par exemple, dans les ruptures d’unions de fait, il faut encourager les juges et la Cour constitutionnelle, à appliquer des solutions existantes pour les couples mariés. Certains redoutent l’insécurité juridique. Personnellement, je trouve sécurisant qu’un juge soit habilité à résoudre chaque cas concret.
On parle aussi de différences d’interprétations entre le Nord et le Sud du pays en droit patrimonial des couples ?
Il y en a peu mais une fameuse : les avantages matrimoniaux. Au Nord, on accepte que le conjoint survivant recueille toute la communauté sans que les enfants du couple puissent le critiquer. Au Sud, une majorité d’auteurs estiment que cela doit être qualifié de donation pour que les enfants puissent éventuellement agir en réduction. Je me rallie à la conception flamande : dans tout couple ayant des enfants, les parents doivent pouvoir décider librement à propos de ce qu’ils ont construit pendant leur couple. Ils doivent à leurs enfants éducation et formation, mais pas de comptes sur leur patrimoine conjugal.
Et l’avenir, même si ce concentré d’actualité servira aux praticiens encore de longues années ?
On discute au parlement un projet de recodification dans le nouveau Code civil, mais à droit constant. Nous suivons cela de près, tout comme l’agenda du Gouvernement où figure la cohabitation légale et l’union de fait ainsi que la filiation et la grande question du maintien de la mention du sexe ou du genre à l’état civil. Nous espérons en tout cas que, cette fois-ci, il y aura une volonté politique de protéger de la même manière les couples qui connaissent les mêmes problèmes patrimoniaux.