Les actions collectives en Belgique : un vent nouveau souffle-t-il enfin ?
Entretien avec les éditeurs, M. Emmanuel Plasschaert, M. Werner Eyskens et le prof. em. Jules Stuyck à l'occasion de cette publication.
Chez Larcier-Intersentia l’ouvrage « Collectief procederen in België - Les actions collectives en Belgique » a été publié en septembre 2024.
Avec la loi du 28 mars 2014, une action collective en réparation collective a été introduite pour la première fois en droit belge. Cette action vise à faciliter l'accès à la justice des consommateurs cherchant réparation des dommages causés par les entreprises. Une loi du 30 mars 2018 a étendu ce dispositif aux PME, leur permettant également d’intenter une action en réparation collective selon les mêmes principes. Sous l'impulsion de la directive européenne (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, la législation belge relative aux actions judiciaires en réparation collective a été réexaminée.
Cet ouvrage décrit le contexte et les contours de l'action collective et les différentes formes qu'elle peut prendre en droit belge. Il fait le point sur la « class action » belge : quelles sont ses applications possibles, ses obstacles et ses opportunités ? Il vise à fournir une vue d'ensemble critique et orientée vers la pratique de l'application de la demande en réparation collective à ce jour et fournit une interprétation des changements législatifs récents.
Larcier-Intersentia a interviewé les éditeurs, M. Emmanuel Plasschaert, M. Werner Eyskens et le prof. em. Jules Stuyck à l'occasion de cette publication.
Avant 2014, il n'était pas évident d'obtenir une indemnisation en tant que groupe important de demandeurs pour des dommages résultant d'un même ensemble de faits ou d'un même événement dommageable. Dans le livre, cela est clairement expliqué à l'aide de l'affaire Arco, qui est pourtant connue de tous, pouvez-vous nous en dire plus ?
Étant donné qu'il n'existait pas de cadre législatif pour les actions de groupe avant 2014 (et qu'aujourd'hui toutes les actions de groupe possibles ne relèvent pas du champ d'application de la législation sur les recours collectifs), il a fallu revenir (et il faudra continuer à revenir à l'avenir dans un certain nombre de cas) aux règles de procédure de droit commun et leur donner une interprétation créative lorsque cela est nécessaire.
L'interprétation créative se heurte souvent à des problèmes. Ces problèmes ont été évidents au lendemain de la crise financière de 2008 et, plus récemment, dans l'affaire Arco, dans laquelle le tribunal de l'entreprise néerlandophone de Bruxelles s'est prononcé le 21 novembre 2022. L'affaire Arco concerne un litige entre investisseurs dans lequel quelque 800 000 coopérateurs d'Arco risquent de perdre définitivement leurs investissements. Le groupe Arco était un holding coopératif belge. Arcopar était le nom d'une des actions coopératives privées du Groupe Arco vendues à des clients privés de la banque BACOB.
L'argent devait principalement servir à augmenter le capital pour développer de nouvelles activités bancaires. Il a permis aux clients de bénéficier d'avantages tels qu'un prêt moins cher, un compte courant gratuit et des réductions auprès de partenaires. BACOB a fusionné avec Dexia en 2001 et lorsque Dexia a fait faillite en 2011, ces actions n'ont plus été cotées en bourse après le 1er avril 2011. Le 8 décembre 2011, les assemblées générales extraordinaires d'Arcopar, d'Arcoplus et d'Arcofin ont décidé de procéder à une liquidation qui se poursuit depuis lors. Les actionnaires ne peuvent faire marche arrière. Rien n'indique qu'ils seront indemnisés. Ils risquent de ne jamais revoir leurs investissements. Les actionnaires dupés ont créé des groupes d'action et recherché des organismes pour défendre leurs intérêts. Deminor (leader dans le financement des litiges) défend quelque 2.400 victimes. L'asbl Arcoclaim, fondée le 19 décembre 2018, défend les intérêts d’environ 10.000 actionnaires devant le tribunal de première instance (cette procédure débutera ultérieurement). Dans le procès mené par Deminor, les actionnaires ont allégué que Francine Swiggers, en tant que présidente du conseil d'administration des différentes sociétés Arco, avait manipulé le bilan d'Arco en prenant en compte les fonds propres de Dexia au lieu de se baser sur le cours de l'action de Dexia.
Par son jugement du 21 novembre 2022, le tribunal de l'entreprise néerlandophone de Bruxelles a déclaré irrecevables les poursuites des 2.100 coopérateurs d'Arco. Ce jugement met douloureusement en évidence les obstacles à la poursuite d'une action collective devant les tribunaux en vertu des règles de procédure de droit commun. Les principaux obstacles procéduraux à une action collective en justice selon le droit procédural commun peuvent être résumés comme suit : (i) la collecte des mandats, (ii) l'exigence de cohérence, (iii) la satisfaction de la « libelleringslast » individuelle, (iv) la satisfaction de la charge de la preuve individuelle, et (v) l'absence d'un système de « production de documents » ou de « discovery » et les conditions strictes de production de documents.
L'ouvrage s'appuie notamment sur l'arrêt Arco pour illustrer ces problèmes. Il décrit en détail les obstacles procéduraux et financiers à une class action devant les tribunaux en vertu du droit procédural commun. Tout d'abord, il souligne que, si les plaignants ne parviennent pas à trouver un représentant de groupe approprié, capable de coordonner efficacement la collecte des mandats, leur demande ne peut pas être traitée par le tribunal. Si les plaignants ne parviennent pas à faire preuve de cohérence, ils risquent de voir l'action collective se transformer en des centaines ou des milliers de plaintes individuelles qui ne pourront pas être traitées pour des raisons financières. Si les demandeurs ne s'acquittent pas de leur charge individuelle ou de leur obligation de libération, ils verront leur action collective déclarée irrecevable ou non fondée devant le tribunal, en fonction de la gravité du manquement. Enfin, même si les demandeurs surmontent tous les obstacles précédents, ils risquent toujours de voir leur demande déclarée non fondée, à moins qu'ils ne parviennent à prouver les prétentions de chaque demandeur individuellement ou qu'ils réussissent à faire produire les preuves nécessaires par le défendeur.
Peut-on alors affirmer que le nombre de class actions en justice dans le circuit parallèle va diminuer compte tenu des nombreux obstacles que ce circuit présente et que les règles de droit commun en Belgique concernant les demandes groupées en justice auront de moins en moins de pertinence ?
Tout d'abord, il ne faut pas oublier que les règles de droit commun restent pertinentes pour toutes les affaires qui ne relèvent pas du champ d'application de l'action spéciale en réparation collective en faveur des consommateurs et des PME, conformément à la loi du 28 mars 2014, telle que modifiée, pour les créances représentatives des consommateurs, par la loi du 21 avril 2024.
Ainsi, les règles de droit commun examinées dans l'ouvrage restent pertinentes pour les actions en responsabilité extracontractuelle, les actions intentées par des personnes autres que des consommateurs et des PME, les actions au nom de consommateurs et de PME qui ne souhaitent pas recourir aux organisations reconnues pour les actions en réparation collective, et les actions au nom de consommateurs ou de PME contre des entreprises pour des faits qui n'enfreignent aucune des matières (certes nombreuses) énumérées dans la loi du 28 mars 2014.
Toutefois, comme l'expliquent en détail les chapitres 2 et 4 du livre, bien que des obstacles importants tels que la charge individuelle de rédaction et la charge individuelle de la preuve tombent si une action est intentée en vertu du titre 2 du livre XVII du Code de droit économique, il n'en reste pas moins qu'un problème majeur se pose en ce qui concerne les actions en réparation collective.
La question du financement constitue toutefois une préoccupation majeure. Il existe environ cinq manières différentes de financer une action collective de droit commun : (i) financement par le plaideur lui-même, (ii) financement par l'avocat du plaideur, (iii) financement par une tierce personne privée (également connue sous le nom de third party litigation funder ou TPLF), (iv) financement par l'assurance et (v) financement par le gouvernement (par exemple, assistance pro bono).
Pour les actions représentatives en vertu du titre 2 du livre XVII du Code de droit économique, la procédure doit être financée par le représentant du groupe reconnu qui entame la procédure. Toutefois, pour les actions collectives de droit commun, le TPLF est la forme de financement la plus courante. Le TPLF est une forme de financement de la résolution des litiges dans laquelle un tiers s'engage à assumer les coûts de procédure et/ou autres d'une partie, quelle que soit l'issue du litige, en échange d'une part définie des indemnités que ce plaideur peut recevoir dans le cadre de la résolution ou du règlement du litige. Le tiers est une personne étrangère au litige et n'est pas impliquée en tant qu'avocat d'une partie. L'engagement de financement est donc le seul lien entre cette personne et la procédure.
Dans l'affaire Arco, par exemple, les plaignants étaient assistés par un TPLF, à savoir Deminor.
Mais le système TPLF, qui finance aujourd'hui la majeure partie des actions collectives de droit commun, est actuellement sous pression. En effet, le 13 septembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution sur la régulation des TPLF. Dans cette résolution, le Parlement européen demande à la Commission européenne de suivre de près et d'analyser l'évolution de la TPLF dans les États membres, tant au niveau du cadre juridique que de la pratique, et de présenter une proposition de directive établissant des normes minimales communes au niveau de l'Union pour la TPLF. Un projet de directive a été immédiatement joint à cette résolution en tant qu'annexe 1. S'il était approuvé, ce projet signifierait une réglementation et une limitation très complètes du TPLF en Belgique. Si l'éventuelle (sur)réglementation future du TPLF dans l'UE conduisait à l'indisponibilité du TPLF en Belgique, la question se pose de savoir si ces actions collectives en justice en vertu du droit commun finiront par trouver leur chemin vers le titre 2 du livre XVII du Code de droit économique après tout.
La réponse à cette question est incertaine. En effet, comme l'explique le chapitre 4 de l'ouvrage, la nouvelle loi prévoit toujours un champ d'application défini, une liste limitée de représentants de groupe autorisés qui doivent se montrer disposés à prendre l'affaire en charge, et les demandeurs risquent de rencontrer des difficultés de financement dans ce domaine également.
La pratique devra donc montrer dans quelle mesure la nouvelle loi sur les recours collectifs pourra supprimer le circuit parallèle et s'il y aura enfin un seul circuit de recours collectif fonctionnant bien, sur la base duquel tous les recours collectifs pourront être portés devant les tribunaux.