Les grands arrêts inspirants du droit de l’environnement

Rencontre avec Delphine Misonne et Marie-Sophie de Clippele

L’ouvrage commente une trentaine de grands arrêts rendus par des cours suprêmes depuis le début du XXIème siècle, en Belgique et à l’étranger, ainsi qu’au niveau européen et international. Ces arrêts ont été sélectionnés pour leur caractère inspirant, conduisant à modifier l’application du droit de l’environnement dans leur sillage. Nous avons rencontré ses deux autrices.

Pourquoi avoir inséré le mot « inspirants » dans le titre de cet ouvrage sur les grands arrêts de l’environnement  ?

C’était notre critère de sélection : que ces arrêts taillent des brèches et ouvrent l’imaginaire juridique, avec le potentiel de devenir inspirants, soit pour d’autres matières, soit pour d’autres juridictions, ou tout simplement pour alimenter la confiance dans la capacité d’évolution constructive du droit de l’environnement. Le droit de l’environnement est en effet, qu’on le veuille ou non, un droit animé par un objectif, comme l’indiquent sans ambages ses assises constitutionnelles et européennes, par son ambition de protection.

Comment avez-vous conçu cet ouvrage ?

Ce fut un travail d’équipe, sous notre direction. Nous avons contacté les meilleurs spécialistes et constitué une équipe plurilingue et multigénérationnelle, souvent liée aux milieux académiques mais comprenant aussi des praticiens aguerris. Le projet a été porté par notre centre de recherche, le CEDRE, à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, avec divers événements qui nous ont permis de conduire collectivement le minutieux travail de recherche et de sélection de ces grands arrêts. Nous en avons retenu trente, tous prononcés au XXIème siècle, car nous voulions un ouvrage qui mette en exergue les débats contemporains sur lesquels se penchent les Cours suprêmes.

Votre table n’est pas chronologique ni par juridiction, mais thématique. Pourquoi ?

Oui, c’est précisément parce que, lors de notre travail de sélection, nous avons observé de très intéressantes correspondances, en ce compris sur le plan temporel, entre les enseignements de juridictions supranationales ou de droit interne, que nous voulions mettre en avant. C’est particulièrement le cas sur l’intérêt à agir en justice, sur la notion d’environnement sain ou encore sur l’approche de la notion de préjudice. Dans la première section appelée « Percevoir le changement à l’œuvre », nous montrons à quel type d’argumentation pionnière les juges des cours suprêmes sont désormais confrontés, traitant par exemple de la charge entre les générations, des effets de la saturation des milieux, du sérieux des engagements climatiques ou encore du statut des grands espaces naturels.

L’ouvrage est construit de manière très originale autour de huit narratifs et introduits par des dessins, pourriez-vous nous expliquer ce choix éditorial ?

Nous souhaitions que ce livre ne soit pas une compilation mais un récit. Nous y avons dès lors travaillé de deux manières. Par nos chapeaux introductifs, d’abord, qui en quelques pages et dans un style très libre, expliquent aux lecteurs non spécialisés ce dont il est principalement question dans l’évolution récente de la jurisprudence en matière environnementale et climatique. Les dessins que nous y avons insérés ont été empruntés, dans le respect des droits respectifs bien sûr, aux travaux de l’école urbaine de Lyon, Dessiner le droit dans l’Antropocène. Par ailleurs, nous avons demandé à chacun des auteurs de respecter une structure-type, qui se termine par une « effet d’encyclie ». Par là-même nous indiquons d’emblée la manière dont le grand arrêt commenté marque déjà la jurisprudence subséquente ou est susceptible, précisément, de tracer la voie.

Quel serait l’arrêt inspirant de demain ?

Les hypothèses sont nombreuses hélas, car ce droit est encore en bonne partie à construire. L’on peut rêver d’un arrêt de la Cour constitutionnelle donnant une consistance plus grande encore à l’obligation constitutionnelle relative à la jouissance du droit à un environnement sain, en lien avec la santé humaine en particulier. D’un arrêt de Cassation confirmant les obligations positives de l’Etat fédéral et des régions en matière climatique, dans la droite ligne du récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 avril 2024 sur la responsabilité climatique des Etats (Verein klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse), qui est lui-même une « encyclie » de l’arrêt Urgenda. D’un arrêt ouvrant plus fermement la porte à la reconnaissance de la notion de « préjudice écologique » en matière civile ou affirmant pour la première fois l’existence d’un écocide, comme l’autorisent désormais les récentes réformes en matière pénale.


 

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