Journée internationale des droits des femmes – Interview de Pascale Vandernacht
Entretien avec Pascale Vandernacht
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Pour la première fois, les différentes dispositions du droit de l’UE servant de socle à l’ Union européenne de la défense commentées article par article, par un collectif d’universitaires et de praticiens spécialistes des questions de défense.
1. Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et des étapes clés qui vous ont amenée à devenir présidente du Conseil d’État ?
J’ai eu la chance de croiser à la faculté de droit de l’ULB, des professeurs exceptionnels et parmi ceux-ci, feu Paul Tapie qui était, à l’époque, Premier Président du Conseil d’État. C’est lui qui m’a poussée à présenter le concours de recrutement pour les auditeurs et référen-daires, en 1995, alors que je venais à peine de devenir jeune maman.
J’ai gravi les différents échelons en débutant ma carrière comme référendaire adjoint, en-suite auditeur, puis premier auditeur en passant de la section de législation vers celle du con-tentieux administratif.
Nommée conseiller d’État en 2008, je suis devenue présidente de chambre en 2018 et j’ai été élue par mes collègues à la fonction de présidente du Conseil d’État, responsable de la section du contentieux administratif, en 2022.
Voilà bientôt 30 ans que je partage ma vie professionnelle avec l’institution, ce qui m’a per-mis d’appréhender les responsabilités liées à la fonction de juger et de vivre au quotidien les nombreux défis auxquels le Conseil d’État doit faire face.
2. Comment avez-vous vu évoluer le rôle des femmes au sein du Conseil d’État depuis le début de votre carrière ?
Si à l’auditorat, les femmes ont toujours bien été représentées lors des concours, tel n’a pas toujours été le cas au conseil. En 2008, nous n’étions même pas dix femmes sur 50 con-seillers ! Je suis particulièrement contente qu’aujourd’hui nous sommes 19 femmes et bientôt 20 au conseil pour un cadre légal de 58 unités…La parité n’est pas encore atteinte mais l’assemblée générale du Conseil d’État n’hésite plus à mettre en avant la nécessité de veiller à cet équilibre des genres lors des procédures de recrutement de conseiller d’État.
En 75 ans d’existence, je suis seulement la deuxième femme à accéder à une fonction de chef de corps. J’espère donc que les nouvelles générations de magistrats resteront sou-cieuses de cet équilibre mais aussi de la nécessité d’assurer, au sein de notre institution, une plus grande diversité.
3. Des événements spécifiques ont-ils particulièrement marqué votre engagement pour les droits des femmes ?
Très jeune, mes parents m’ont souvent rappelé que l’émancipation des femmes passait notamment par leur indépendance économique et qu’il était primordial d’obtenir un di-plôme permettant d’assurer mon avenir sans devoir compter sur quiconque.
En 1989, j’ai débuté ma carrière professionnelle comme attachée parlementaire auprès de feu le Sénateur Roger Lallemand, en plein débat sur la dépénalisation de l’avortement. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience de la nécessité de défendre les droits des femmes et, en particulier, celui de décider de ne pas poursuivre une grossesse, ce qui est probablement, pour chacune de nous, la plus difficile des décisions à assumer.
Malgré les progrès considérables qui ont été réalisés pour tendre à cette égalité des sexes, il y a encore des discriminations salariales, des freins à l’émancipation sociale des femmes et des comportements sexistes. La place et le respect des femmes dans nos sociétés de-meurent une préoccupation constante. Il suffit de penser au mouvement #Me Too, au ré-cent procès de Mazan qui a mis en lumière les nombreux viols subis par Gisèle Pélicot, à la multiplication des féminicides, à l’impossibilité pour les jeunes afghanes d’aller à l’école ou de se déplacer librement, ou encore à la régression du droit à l’avortement à la suite d’un arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Comment ne pas se sentir concernée dans ces cir-constances et ce ne sont malheureusement que quelques exemples parmi tant d’autres !
4. Quelles mesures pourraient être prises pour renforcer la présence de femmes aux postes à responsabilités dans la magistrature ?
Aujourd’hui, plusieurs femmes occupent des postes à responsabilités dans l’ordre judiciaire et démontrent qu’elles assument leurs fonctions avec clairvoyance et loyauté.
Il ressort des contacts que j’ai pu nouer avec certaines d’entre-elles qu’elles sont sur le pont 24h sur 24 et que malgré cette grande disponibilité, elles parviennent à gérer leur vie familiale et à préserver leur rôle de maman et de compagne. Si ce n’est pas simple tous les jours, elles y parviennent néanmoins grâce à une capacité d’organisation et un sens déve-loppé du pragmatisme et de l’efficacité, tout en étant conscientes qu’elles doivent sans doute prouver davantage qu’elles sont bien à leur place.
Je ne pense pas qu’il faille instaurer des mesures spécifiques pour renforcer la présence des femmes à des postes à responsabilités. Tout est avant tout une question de change-ment des mentalités…
Il faut que les femmes comprennent qu’assumer de telles responsabilités n’implique pas qu’elles doivent renoncer à ce qu’elles sont, bien au contraire ! Elles ont des qualités et une sensibilité à faire valoir ; on peut diriger tout en étant à l’écoute, en favorisant le dialogue, en recherchant le plus large consensus sans nécessairement imposer sa volonté parce qu’on est « le chef ». On doit bien entendu être capable de décider, de trancher mais on peut le faire tout en étant transparent et respectueux des rôles et des fonctions de chacun.
5. Quel message souhaiteriez-vous transmettre à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes ?
À l’occasion de cette journée internationale, je tiens à remercier toutes ces femmes et ces hommes qui œuvrent à travers le monde, dans l’ombre ou dans la lumière, pour protéger les droits de ces dernières. Je pense aussi à ces nombreuses mamans qui assument seules au quo-tidien leurs enfants et qui bien souvent sacrifient leurs désirs personnels pour permettre à ceux-ci d’avoir une vie meilleure. Les jeunes parents devraient être attentifs à éduquer leurs petits garçons dans le respect de l’autre sexe, en évitant les clichés et les stéréotypes et en af-firmant l’égalité homme-femme. Enfin, les femmes devraient pouvoir être elles-mêmes en toute circonstance et être respectées ! Je terminerai par une citation de Simone Veil qui ré-sume bien le fond de ma pensée : « Ma revendication en tant que femme, c’est que ma diffé-rence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m’adapter au modèle masculin ».
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