L’Union européenne de la défense – Commentaire article par article – Interview d'Elsa Bernard et Stéphane Rodrigues
Entretien avec Elsa Bernard et Stéphane Rodrigues
Pour la première fois, les différentes dispositions du droit de l’UE servant de socle à l’ Union européenne de la défense commentées article par article, par un collectif d’universitaires et de praticiens spécialistes des questions de défense.
1. En quoi le résultat de l'élection présidentielle américaine a-t-il un impact sur l'élaboration de l'Union européenne de la défense ?
La réélection de Donald Trump a d’ores et déjà eu un impact sur la prise de conscience, par de nombreux dirigeants européens, que l’UE va devoir faire davantage pour assurer sa propre défense et développer significativement une industrie d’armement au diapason des défis que soulève la guerre en Ukraine depuis maintenant presque trois ans. Si les États-Unis devaient se désengager ou se désintéresser du conflit russo-ukrainien, comme le laisse à penser les déclarations de campagne électorale de celui qui était alors le candidat républicain, l’option consistant à donner des garanties européennes de sécurité et celle d’un éventuel déploiement de troupes d’États membres de l’UE, déjà évoquée par le Président Macron il y a quelques mois, devraient être prises au sérieux et pourraient même s’imposer comme seules solutions crédibles et tangibles pour changer la donne sur le terrain et redistribuer les cartes géopolitiques entre Kiev et Moscou.
2. Le titre de l'ouvrage évoque "L'Union européenne de la défense". Que recouvre cette notion ?
Cette notion absente des traités, s’est imposée dans les discours européens avec la dégradation de l’environnement sécuritaire de l’UE et le besoin accru d’une défense commune. Évoquer l’« Union européenne de la défense » permet de dépasser le seul domaine intergouvernemental de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pour englober l’ensemble des réalisations de l’UE en matière de défense, y compris dans le domaine dit « supranational », à l’instar par exemple de l’industrie européenne de la défense, du marché intérieur de la défense ou encore de la mobilité militaire. Cette évolution témoigne d’une forme nouvelle d’intégration européenne en matière de défense où la politique de défense demeure de la responsabilité première des États membres mais est désormais complétée et soutenue par un ensemble de mesures mises en œuvre au niveau européen.
3. Comment avez-vous procédé pour concevoir un commentaire "article par article" du droit de l'Union sur le sujet de la défense européenne ?
Nous avons souhaité que soient commentées les normes de droit primaire et de droit dérivé relatives à la défense européenne. En effet, cette dernière n’est plus cantonnée à la seule PESC/PSDC, régie par le Traité sur l’Union européenne, et à laquelle sont dédiés les commentaires de la première partie de l’ouvrage. Les nombreux articles du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) sur la base desquels se développent les politiques de l’Union qui concernent la défense ont été commentés dans la deuxième partie de l’ouvrage, de même que les actes dérivés qui ont ces articles pour base juridique. Enfin, la troisième partie du commentaire qui porte sur le traité Euratom offre une analyse de l’impact du droit nucléaire sur les questions de défense.
4. Quelles conséquences l’affirmation d’une Union européenne de la défense pourrait-elle avoir sur les relations avec l’OTAN ?
À court terme, on ne peut, là encore, penser l’avenir des relations UE-OTAN, sans prendre en compte le changement de paradigme qu’impose le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. En effet, les Alliés européens au sein de l’OTAN n’échapperont pas à une discussion difficile avec les États-Unis sur la répartition des efforts budgétaires au sein de l’Alliance, avec de réelles pressions pour rehausser leurs budgets militaires de la barre des 2% actuels de leur PIB, à 3%, voire plus encore (le chiffre de 5% est désormais ouvertement évoqué outre-Atlantique). Reste à savoir si cette augmentation des dépenses de défense profitera d’abord aux acteurs industriels européens ou à leurs concurrents américains, ce que l’administration Trump 2 pourrait aussi exiger en contrepartie d’un maintien, même relatif, du soutien des États-Unis à l’Ukraine ou de leur présence en Europe. Nous entrons dans une nouvelle ère de type transactionnel dans les relations OTAN-UE-USA, qui peut donc être à la fois une opportunité et un piège pour la réussite d’une UE de la défense. Une option envisageable pour rééquilibrer la situation pourrait être de rendre opérationnelle l’idée maintes fois énoncée d’un pilier européen de l’OTAN (à distinguer de l’option d’une OTAN européenne), avec une part d’autonomie décisionnelle sans pour autant renoncer totalement au bouclier américano-otanien, afin notamment de rassurer ceux des États membres de l’UE, en particulier à l’Est, qui ne croient pas encore à une UE de la défense comme alternative crédible et solide.
5. Comment les institutions européennes et notamment la nouvelle Commission envisagent-elles de renforcer l'Union européenne de la défense ?
La consolidation de l’UE de la défense est une priorité de la nouvelle Commission. Andrius Kubilius, Commissaire à la défense et à l’espace, en a la charge. Il présentera, dans les 100 premiers jours, un Livre Blanc sur la défense européenne, identifiant les besoins d’investissement pour garantir les capacités militaires. Il devra également créer un marché unique de la défense, renforcer notre industrie de défense et encourager les achats conjoints d’équipements. Enfin, il devra lever les obstacles à la mobilité militaire sur le continent. Si tous ces chantiers sont essentiels, le prochain cadre financier pluriannuel (2028-2034) révèlera lui aussi l’ambition de l’UE : un budget consacrant une place accru à la défense serait un signal fort.